24eBIFFF : The descent ; Isolation
Ce qu’il y a d’extraordinaire au BIFFF, c’est qu’on y va en sachant que c’est pour le meilleur mais aussi pour le pire. Sans jamais savoir ce qui sera le meilleur et ce qui sera le pire. Ce que l’on attend impatiemment, avec une envie incroyable, se révèle plat et sans saveur, voire avec un arrière-goût de déjà vu et de pas digéré. Ce que l’on va voir avec des pieds de plomb, en se disant qu’au pire, on sortira pendant le film (même si ça ne nous arrive jamais), tient du miracle et nous enthousiasme au-delà de toute espérance, sous l’œil souvent sceptique de ceux qui ne s’y sont pas aventurés, eux, de peur de s’y ennuyer à mourir. Donc, voilà . Une fois de plus, pas de déception, pas de regrets, juste des choses lamentables et des points culminants.
The Descent (Neil Marshall, UK, 2005)- celui que l’on attendait pas. Six femmes amatrices de sensations fortes, dont une qui vient de vivre, un an auparavant la perte de son mari et de sa petite fille dans un accident de voiture, s’engagent dans une descente spéléo qui deviendra très vite infernale. Devant cet étalage d’angoisses et d’oppression grandissante, j’ai compris, dans un éclair de lucidité au détour d’une régression progressive, pourquoi Neil Marshall a choisi six personnages de femmes, rien que des femmes, comme héroïnes de son film. Women scream better. Cette évidence, comprise depuis belle lurette par bon nombre de cinéastes, d’Hitchcock aux spécialistes du genre comme Argento ou Tobe Hooper, m’a frappé de plein fouet à la vision du film ; devant les ‘gasps’ étouffés ou désespérément maîtrisés des héros masculins, les femmes donnent de la voix, toute leur voix face au danger, et sont au comble de la frustration (comme nous) lorsque les circonstances leur impose le silence, comme c’est le cas ici puisque les corps menaçants, aveugles, n’organisent leur attaque qu’en fonction du son de leurs futures victimes. Marshall s’en donne donc à cœur joie dans cet appel du cri et sa retenue, tout comme dans l’ironie mordante et pleinement affirmée de la symbolique sexuelle qui enferme ici ces héroïnes harnachées dans une grotte obscure et grouillante d’hommes chauve-souris devenus aveugles après s’être perdus dans ces lieux d’encre noire…. Bref. Mais ces héroïnes sont loin d’être des crieuses types. Aventurières à part entière, elles affichent un aplomb qui ne sera démenti que par l’inéluctable destin sinistre de la fixation photographique avant la randonnée, les poncifs narratifs du genre, et par les revers de fortunes d’un passé qui appelle à la revanche. Mais les héroïnes ne sont pas le seul attrait du film de Marshall ; son lisible amour et maîtrise du genre ne peuvent que provoquer l’enthousiasme des spectateurs & trices. Si la première partie du film progresse de façon réaliste, l’étrange s’y insère comme un éclat de verre par l’apparition fantomatique puis bien charnelle des hommes-chauve-souris (même si ces derniers ont un air de famille avec l’immonde Golum Jacksonien) ; les débuts terre-à -terre disparaissent dès lors devant la panoplie déployée des élucubrations gores du film – un plaisir, comme il se doit, non négligé et approuvé par le public du BIFFF, qui a salué de toutes mains et poumons cet étalement macabre mais au combien jouissif. Si l’ironie n’est pas systématique ou prépondérante (plus de distanciation post-moderne à la Scream, nous sommes aujourd’hui dans un cinéma de la sensation, plus de la référence), elle ponctue le film, venant libérer le spectateur/la spectatrice suffoquant sous les pierres qui se rapprochent et la peur qui nous étouffe ; l’héroïne de déclarer, devant l’entrée de la grotte, qu’elle n’est pas Lara Croft, et se métamorphosant par la force des choses, en chercheuse tombale ; la même de renaître, comme la Carrie de De Palma, d’un bain de sang gluant et dégoulinant, de trouver la lumière pour quelques instants et tenter de s’enfuir en escaladant un parterre d’ossement blanchis, comme l’héroïne de Massacre à la Tronçonneuse d’Hooper. En un mot, jouissif.
Le maître mot de cette année au BIFFF : enfermement. D’Isolation avec sa ferme sous quarantaine pour cause de vaches mutantes, au tombeau de béton de Haze de Tsukamoto, en passant par la grotte de The Descent, le quartier replié sur lui-même de Copenhagen dans Allegro, l’hôpital d’une région insulaire sur le point de fermer dont le fantôme d’une infirmière refuse aux enfants encore présents le droit de quitter les lieux dans Fragiles, la boucle temporelle de 33 X Around the Sun, voire même le corps relié des frères siamois dans Brothers of the Head, les films ne prennent plus lieu que dans des prisons, endroits confinés, hors du monde, coupés de lui, à l’instar des esprits aliénés et amputés de leurs personnages. Il ne manque plus que le panneau à l’entrée – ‘Claustrophobes s’abstenir’. Evidemment, si l’esprit du temps et du genre s’inscrivent de façon aussi transversale et à première vue, communes, cela tient à la fois, comme prévu, du pire et du meilleur.
Isolation (Billy O’Brien, UK/Ireland, 2005). « Dan Reilly a accepté que les labos agro-alimentaires testent une modification génétique sur l’une de ses vaches. Or, aujourd’hui, celle-ci s’apprête à mettre bas. Et, à en croire ses hurlements, ce qui cherche à sortir ne risque pas de répondre aux signes distinctifs du veau » nous prévenait le programme. Des vaches mutantes, aux confins d’une campagne jamais entr’aperçue (dans le film), sur fond de polémiques transgéniques quotidiennes (dans nos téléviseurs), pourquoi pas ? Huis-clos assumé, à l’esthétique cradingue à la Seven, aux rires attendus (le bras de la vétérinaire plongeant dans les entrailles de la vaches mais se faisant mordre par la créature pas encore née), aux relents romantico-sirupeux (le fermier ayant accepté l’expérience pour les beaux yeux d’une vétérinaire… son ex qui s’offre à présent les services du directeur de recherches) et aux accents sociaux peu convaincants (le couple marginal, fuyant le racisme d’une famille peu compréhensive qui est venu coincer sa caravane à l’entrée de la ferme et sera le témoin privilégié de l’horreur), Isolation tombe dans le consternant, voire le grotesque lorsque les embryons à croissance accélérée se mettent à ressembler à des cousins peu éloignés d’Alien. La fin ne fait que renforcer notre exaspération face à un sequel plus que probable dans lequel la seule survivante (si, si), enceinte, tente de se convaincre que sa progéniture échappera au destin baveux des embryons mutants… Dispensable, même, soyons cyniques, en plein syndrome paranoïaque de la fameuse vache folle.
Muriel Andrin